La ligne des Antilles est donc abandonnée, et il est décidé de transformer les Laté 631 en avions cargos, comme cela se fait alors pour... les avions en fin d’exploitation.
Les essais reprennent, et les avions transformés reçoivent une immatriculation provisoire durant les essais, le première lettre après le "F-" étant remplacée par un W.
LATÉ 631-03, F-BANU / WANULe 28 mars 1950, cet appareil décolle des Hourtiquets pour une série de boucles d'essais entre le lac et l'embouchure de la Garonne, en passant devant le cap Ferret.
Il a été remotorisé, transformé en cargo par la mise en place derrière l'aile gauche d'une large porte s'ouvrant vers le haut, et testé longuement par Latécoère et le CEV, notamment pour étudier la vibration des hélices.
Tout semble se dérouler normalement lorsqu'à 16 h 32, une masse importante se détache de l'aile gauche suivie d'un tas de débris plus petits et l'avion se met en vrille, puis se stabilise sur le dos avant de reprendre sa vrille et de percuter l'océan. La description, faite par le gardien du phare du Cap Ferret qui le suivait à la jumelle, et un ex-mécanicien navigant résidant au Cap Ferret, est la même. Ils précisent tous deux que les moteurs se sont arrêtés avant l'impact.
Les débris, recueillis au fond de l'océan après une recherche intensive, amènent à la conclusion suivante : une bielle de commande de l'aileron gauche s'est rompue en vol, entraînant une résonance entre le phénomène vibratoire de l'aileron puis de toute l'aile et le régime de croisière des hélices.
Le rapport d’enquête précise que "ces phénomènes n'ont pu être ressentis par l'équipage avant que leurs conséquences soient irréparables".
Les vols sont de nouveau suspendus pour modifier les appareils restants.
Après 2 ans d'essais, les vols en version cargo sont de nouveau autorisés. Ils se feront sur l'antenne africaine de la SEMAF entre Léré et Douala où l'état des communications terrestres fait que la ligne est rentable, et que les industriels sont preneurs, notamment la Compagnie Cotonnière Équatoriale Française.
Mais avec un seul avion disponible, le Laté 631-08 F-BDRE, la SEMAF ne peut couvrir les dettes accumulées.
Elle dépose le bilan le 21 avril 1950.
L'affaire est reprise par FRANCE-HYDRO, créée le 25 octobre 1951, pour des vols vers les colonies, Afrique et Indochine (ces derniers vont rapidement ne plus être d'actualité pour les raisons que l'on sait), et en vols intérieurs dans les pays concernés. Heureusement pour elle, cette société fera voler des hydravions d'autres marques, notamment des Short S-25 Sandringham.
En attendant que les autres LATÉ 631 soient modifiés et contrôlés, dont notre F-BANT qui n'aura décidément pas réalisé beaucoup de vols commerciaux, seul le F-BDRE sera opérationnel... dans quelques temps.
LATÉ 631-08, F-BDREIl est victime d'un gros incident à Bizerte le 28 mai 1952 : après avoir évité de justesse une balise, ce qui n’empêchera pas les hélices 4 et 5 de la heurter et de se trouver détériorées, l’appareil a heurté avec son ballonnet gauche un duc d'albe en béton, et l'aile s'est enfoncée dans l'eau, arrêtant net le moteur 1. Un fort vent latéral ainsi qu'un courant défavorable en sont la cause, mais le pilote signale que certains moteurs se sont emballés 2 fois de suite, alors qu'il essayait de rester maître de la situation.
La scène a été photographiée "en direct" :
En 1953, le F-BDRE est enfin bon pour le service après réparations (on ne change pas l'aile) et vérifications des commandes moteurs.
Notre F-BANT est à deux mois de la fin des travaux : le délai d'exécution laisse imaginer les modifications, auxquelles il faut ajouter les essais et vérifications, nécessitant parfois des démontages/remontages.
Les vols entre Léré et Douala aller-retour se passent pour le mieux jusqu'au 10 septembre 1955, date à laquelle l'hydravion s’écrase entre ces deux agglomérations après s'être désintégré en vol, comme le montreront les distances entre les différents éléments au sol. Il effectuait là son dernier vol africain avant retour à Biscarrosse pour révision complète.
L'accident entraînera la mort de 16 personnes.
L’enquête est menée avec d'autant plus d'efficacité que les moyens d'investigation ont fait des progrès, concernant notamment les phénomènes vibratoires et la fatigue du métal (accidents à répétition des de Havilland Comet en 1952/53).
Le rapport d'analyse indique que l'accident est vraisemblablement du à "une forme vibratoire de l'empennage [..] qui a secoué les gouvernes et a rendu l'hydravion difficilement pilotable". Ce phénomène de
flutter est le seul qui puisse, après analyse des autres hypothèses, expliquer la fragmentation des débris et les dégâts relevés sur ceux-ci. Il est probable que l'accident de Bizerte ait rendu l'aile incriminée plus fragile car plus fatiguée.
C'est de nouveau l'arrêt temporaire d'exploitation pour une durée inconnue.
Les 6 avions restants sont sortis de l'eau et entreposés -provisoirement, croit-on- 3 aux Hourtiquets et 3 dans le hangar Bréguet... dont les portes peuvent s'ouvrir totalement
!
La suite au prochain épisode !