voilà quelque temps que j'envisage la construction d'un réseau HOm évoquant la gare de Blajan - Nizors, située sur la ligne de Toulouse-Roguet à Boulogne sur Gesse exploitée de 1901 à 1949 par la compagnie des Chemins de Fer du Sud Ouest.
Blajan est la dernière gare avant Boulogne, elle était typique des gares de la compagnie, avec un BV à halle accolée, une voie directe, une voie marchandises devant la halle, une voie de débord, mais aussi un embranchement particulier vers une petite carrière de calcaire. Curieusement, la briqueterie, principal employeur du coin jusqu'aux années 2000, d'où proviennent d'ailleurs les milliers de briques du viaduc de Lanespède, sur la ligne Toulouse - Tarbes, n'a jamais été raccordée au rail.
Mais Blajan était aussi la gare où mon grand père embarquait dans l'automotrice du "Train Blanc" jusqu'à Plaisance où résidaient ses grands parents. C'est d'ailleurs lui qui m'a fait découvrir l'existence de cette compagnie et j'aimerais finir le réseau tant qu'il est là pour le voir.
Pour l'instant, je suis à la recherche de documentation, celle sur la ligne étant assez rare.
C'est de plus mon premier réseau à voie métrique, je crois que je ferai régulièrement appel à vos lumières
J'ai déjà trouvé sur le forum trois sujets qui évoquent les CFSO:
- Livrée des Pinguely du Toulouse- Boulogne/Gesse
- Locos du CFSO
- "Train Blanc" et automotrices électrique
Ensuite, pour vous faire patienter, voici quelques témoignages de mon grand-père:
Le train blanc
Il était une fois le train blanc et son aîné le train noir.
Du train noir, il y aurait tant à dire… Doyen du matériel roulant sur le réseau métrique de la Compagnie du Sud Ouest qui irrigua longtemps le pays toulousain au départ de la gare Roguet, il survécut jusqu’à la fin des années quarante (1), commis aux dessertes intermédiaires de marchés ruraux, suintant, chuintant et haletant aux creux des coteaux et à l’orée des bois. Je le revois encore avec cette acuité de mémoire des souvenirs d’enfance, à l’arrêt en gare de Blajan-Nizors, chaude bête crasseuse de suie et de graisse, assortie d’un mécanicien dont les lunettes à coques, relevées sur le front, dégageaient deux orbites blanches tranchant sur sa face noire, image en trois dimensions évoquant le Jean Gabin de « La Bête Humaine », mais à petite échelle, celle des « Pinguely » et des « Corpet-Louvet » des voies étroites.
Quant au train blanc, c’était autre chose ! Bien que déjà vénérable quand j’étais gamin, il évoquait néanmoins la modernité par sa couleur claire, à mi-chemin entre une blancheur originelle et un jaune délavé trahissant son âge. Mais surtout, en opposition avec les locos à vapeur, le train blanc était électrique, tirant son énergie d’une série d’accumulateurs installés de part et d’autre sous le châssis de la motrice en de lourds caissons métalliques. Ces batteries étaient rechargées à chaque trajet, à Toulouse en gare Roguet et à Boulogne-sur-Gesse. Recharges combien nécessaires car la ligne approchait les cent kilomètres et comportait deux rampes conséquentes, celle qui franchissait la colline entre Gesse et Save, de Blajan à Rebirechioulet, et celle des coteaux de Forgues à Saint Loube s’ouvrant vers Rieumes.
Ce train blanc, je l’ai intimement fréquenté à maintes reprises durant les années de guerre, notamment entre Blajan, où j’habitais, et Plaisance-du-Touch, gare la plus proche de Cugnaux, où résidaient mes grands-parents paternels.
Fréquentation intime assurément conviviale : « la motrice » comme on disait aussi, usant d’un terme réducteur car oubliant les deux remorques complétant les convois, « la motrice », donc, était régulièrement bondée car c’était le seul moyen, en ces temps de vide automobile, de se rendre à Toulouse et d’en revenir. Du coup, les places assises, garnies dès le départ, étaient rapidement cernées et submergées par les voyageurs debout, serrés comme parisiens dans le métro de dix-huit heures.
C’est ainsi qu’un jour de vacances 1942, quittant le Cugnaux de mes grands-parents pour regagner mon Blajan natal, je fus littéralement inséré en force, en gare de Plaisance, en tête du train blanc, par la vigoureuse intervention dorsale de mon grand-père jouant ainsi le rôle des pousseurs professionnels du métro de Tokyo.
Or, bien que roulant sur une voie construite en site propre, en pleine campagne, en authentique réseau ferré et non comme un simple tramway urbain, la motrice était conduite par un mécanicien en contact direct avec les voyageurs, du moins dans le sens Toulouse-Boulogne, car, en sens inverse, le poste de conduite intégré dans un compartiment à bagages, restait isolé du public.
Cette disposition technique, voulue ou consécutive au hasard des choses, fut à l’origine, en ce retour de vacances, de l’un de mes plus glorieux souvenirs de jeunesse car j’eus le privilège unique et l’honneur insigne de conduire, entre Plaisance-du-Touch et Blajan-Nizors, le train blanc électrique de la plus longue ligne de la défunte « Compagnie de Chemins de Fer du Sud-Ouest ».
Conduire ? Enfin, presque…
Glissé donc, comme gousse d’ail dans un rôti, au sein de la masse compacte des voyageurs, je me trouvai littéralement plaqué contre le pupitre métallique des commandes du train, la tête à hauteur du coude du mécanicien, familier et disert toulousain nanti toutefois d’une casquette règlementaire. Ce brave homme me prit incontinent et paternellement sous son aile, faisant de moi un élève conducteur ravi et d’emblée fasciné par le défilement des rails et des traverses posées sur les cailloux blancs d’un ballast aux inégalités rustiques qui imprimaient au convoi un balancement chaloupé de chalutier en haute mer.
Et il causait, le conducteur ! Entre deux haltes, celles « facultatives » marquées par un modeste édicule, (ah le cabanon de Montblanc ou celui d’Escanecrabe ! ), et les arrêts principaux nantis d’un vrai bâtiment avec un hangar attenant et double réduit-pipi aux initiales H et D, il sut rapidement qui j’étais, où j’allais, si je travaillais bien à l’école et si quelqu’un viendrait me chercher à la gare de Blajan-Nizors.
Mais j’appris pour ma part que mon professeur de conduite dormirait le soir à Boulogne pour « redescendre » le lendemain matin sur Toulouse et que, l’après-midi, il irait à la pêche du côté de Lacroix-Falgarde, perspective qui lui agréait visiblement.
En outre, et surtout, mon mentor ferroviaire, en avance sur son temps et en veine de gentillesse, usa à mon égard de pédagogie active en me confiant la manœuvre du sifflet, ou, plus précisément, d’une corne à deux tons semblable à celle des pompiers et qui s’activait en tirant sur un anneau à l’extrémité d’une sorte de chaînette que j’atteignais, au prix d’une élongation du bras, en me haussant sur la pointe des pieds.
Au trac et à l’émotion des premières tractions, succéda bientôt un euphorique sentiment de toute puissance, puis de tranquille assurance professionnelle. Dame ! Le geste n’était pas innocent : annoncer aux campagnes alentour l’approche du train blanc avait quelque chose d’aussi glorieux et triomphal que les trompettes d’Aïda. Il faut dire que l’appel était aussi fréquent qu’impératif. Les passages à niveau, évidemment non gardés et encore moins automatiques, correspondaient à de nombreuses intersections avec les routes principales, mais aussi avec les chemins secondaires, voies de la ruralité profonde, dépourvues certes de circulation motorisée en ces années noires, mais fréquentées par le lent cheminement des troupeaux en transit de pâture et des charrois à traction animale. En fait, à plusieurs reprises, mon bavard mais néanmoins attentif initiateur me rappela à mes obligations à l’approche de ces intersections, m’intimant d’impérieux « corne ! corne ! » qui m’emplissaient de confusion. Et j’obtempérais avec un fébrile empressement.
A ce jeu, le voyage me parut bref, nonobstant l’inconfort d’une station debout aggravée par les trépidations de la motrice. Et c’est avec mélancolie que je vis se dévider les courbes de la voie traversant le bois entre la tuilerie de Blajan et mon terminus de Nizors.
J’ai oublié quels adieux me fit le mécanicien. Je repris contact, tout étourdi de l’aventure, avec la banalité d’un sol natal étrangement ferme sous le pied. Et je suivis de yeux, deux ou trois minutes, le train blanc qui s’éloignait vers Boulogne après une courbe serrée sur le pont de la Gesse en de longs couinements, mené au terme de son trajet par mon amical professeur, agent de conduite de son état à « La Compagnie des Chemins de Fer du Sud-Ouest »… et pescofi à ses heures du côté de Lacroix-Falgarde.
A Saint-Gaudens, le 3 décembre 2004
Pierre ROQUES
(1) La ligne de Boulogne cessa son exploitation le 31 décembre 1949.