La Gare de Punavaï
Punavaï (prononcer Pounavaille) est un quartier de la commune de Punaauia, petite ville située sur la cote ouest de l'île de Tahiti, à 13 km de Papeete, la capitale. C'est dans la commune de Punaauia que Paul Gauguin a résidé de 1895 à 1901 lors de son second séjour en Polynésie, avant de rejoindre l'île de Hiva Oa aux Marquises où il est décédé en 1903. Sur le plan artistique, c'est à Punaauia que Paul Gauguin a peint son plus grand tableau (4,50 mètres de long) "D'où venons-nous? Que sommes nous? Où allons-nous?" exposé au musée des Beaux-Arts de Boston.
A Tahiti, comme dans toutes les colonies françaises de cette fin du 19ème siècle, plusieurs projets de construction d'un chemin de fer sont envisagés. Ainsi en 1899, Auguste Goupil projette la construction d'une voie ferrée entre Papeete et Mataiea. Avocat, politicien, un des leaders du parti protestant, propriétaire du journal "L'Océanie Française", Auguste Goupil (1847-1921) est également un planteur qui exploite des cocoteraies et produit du coprah dans la région de Mataiea. Pour les opposants à ce projet, il ne fait pas de doute que l'intérêt majeur de ce projet de chemin de fer, serait d'assurer le transport du coprah et de la farine de coco vers Papeete…
Comble de malchance, Auguste Goupil va trouver en face de lui un opposant farouche à ce projet en la personne de Paul Gauguin. Outre ses talents de peintre, Paul Gauguin est en effet un polémiste virulent. En 1899, à une époque où ses toiles se vendent difficilement et où il rencontre des difficultés financières, Paul Gauguin crée un mensuel illustré par ses soins, de quatre pages, intitulé "Le Sourire" qui porte la devise "Journal sérieux. Hommes graves, souriez, le titre vous y invite". Bientôt la devise sera remplacée par celle plus appropriée de "Journal méchant"… ce qui donne le ton de cette publication.
La plus grande partie du premier numéro de ce journal daté du 21 août 1899, est consacrée à un article ironique contre le projet de la ligne de chemin de fer présenté par Maître Goupil. Cette attaque prend la forme malicieuse d'une description imaginaire du voyage inaugural du nouveau chemin de fer. La gare nommée "Farine de coco n° 2" dépeint en fait la propriété du notaire à Otumaoro, un quartier situé au nord du district (commune) de Punaauia. Voici comment Gauguin dépeint les lieux:
"Au détour du chemin, quelques boites à sardine adroitement étagées par un charpentier simulent un château; tout comme à Versailles, les statues civilisent le jardin, des grilles aussi, puis sur colonnes d'admirables vases de faux métal donnent l'hospitalité à de maigres aloès en zinc. Regardant par la portière, j'ai cru voir au fond de tout cela, des mains s'agiter sur une guitare. J'ai cru aussi entendre un doux refrain" I love this money"…
Au terminus, Goupil invite les notables à un somptueux banquet, tandis qu'au buffet de la gare, la piétaille dont Gauguin fait partie, est nourrie à ses propres frais de coco rapé…
Ainsi se termine sous les moqueries de Paul Gauguin, le projet du chemin de fer de Tahiti présenté par Maître Goupil, dont l'une des filles épousera Etienne Touzé (1871-1951) créateur avec son beau-père de la "Société Française des Phosphates d'Océanie" à Makatea, qui exploitera une voie ferrée industrielle de 8 km sur cet atoll. Mais c'est une autre histoire…
La construction de la gare de Punavai s'inscrit donc dans le cadre du projet avorté de ligne du "Chemin de fer de Tahiti" devant relier Papeete à Mataiea, distant de 40 kilomètres de la capitale de l'île. La construction est simple puisqu'il s'agit d'un bâtiment unique, dans le style colonial tahitien, abritant sous un même toit l'espace réservé aux voyageurs, l'habitation du chef de gare, et une halle à marchandises.
A l'époque où Paul Gauguin demeurait à Mataiea (1891-1893) lors de son premier séjour à Tahiti, il mettait cinq heures et demi pour rejoindre Papeete à bord de la carriole publique tirée par des chevaux… Et cela lui coûtait 18 francs l'aller-retour! Le chemin de fer lui aurait assuré un voyage plus rapide et plus confortable, et dans doute bien plus économique.
Lors de son séjour à Punaauia, si la voie ferrée avait été établie, il aurait même pu trouver les réponses aux questions métaphysiques qu'il se posait dans son célèbre tableau:
D’où venons nous? De Papeete…
Où sommes nous? A la gare de Punavai
Où allons nous? A Mataiea…