Les Forums de Passions Métrique et Etroite !!

Il y a 40 ans, je prenais mon premier poste à La Ciotat. J'en profitais pour découvrir la région à pieds et particulièrement le massif des Calanques.
Partant de Cassis, il faut longer la calanque de Port Miou pour atteindre les deux plus belles, Port PIn et surtout En Vau.
A Port Miou, le paysage était (et est toujours) défiguré par une épouvantable balafre, la carrière Solvay. J'ai assisté, sans le savoir, aux dernières semaines de son fonctionnement.
40 ans plus tard, les sujets sur les carrières de l'Estaque m'ont donné l'envie de chercher des informations sur cette carrière et de vous les partager.

Un peu d'Histoire :
A la fin du XIXe siècle, l'industriel belge Solvay met au point une nouvelle technique de production de la soude nécessitant du sel et des roches calcaires.
Il installe donc une usine (qui existe toujours) au Salin de Giraud sur la commune d'Arles. Pour le calcaire, il jette son dévolu sur la calanque de Port Miou à Cassis car le transport peut se faire de façon très économique par la mer.
Il obtient donc la concession de la rive Nord de la calanque et le massacre du paysage commence...
Ceci va d'ailleurs provoquer en 1910 l'une des toutes premières manifestations de défense du cadre naturel organisée par la Société des Excursionnistes Marseillais. Leur intervention ne sauvera pas Port Miou mais permettra de préserver plus tard Port Pin et En Vau des appétits de Solvay.
Pour exploiter la carrière, Solvay va avoir recours à tout un réseau en voie de 60.

Pour commencer, une vue générale en 1952 :

Et maintenant, la zone de la trémie de chargement des barges.

Et la zone du tri des matériaux.

Dans les jours à venir, je vous propose d'étudier le fonctionnement du réseau en 1952 puis son évolution à partir de 1955.

Merci pour ces infos .
J'attends la suite de ce reportage avec intérêt. Habitué de Cassis, je me suis souvent demandé à quoi ressemblait ce site lorsqu'il était en activité.

031 SACM a écrit:A Port Miou, le paysage était (et est toujours) défiguré par une épouvantable balafre, la carrière Solvay. J'ai assisté, sans le savoir, aux dernières semaines de son fonctionnement.

Entre nous, je trouve que la carrière et ses vestiges défigurent moins la calanque que cette noria de bateaux de plaisance qui l'encombre perpétuellement

La présence des vestiges de la carrière et du port de plaisance nous valait il y a encore une vingtaine d'années le plaisir de trouver des coupons de voie de 60 et un chassis ayant probablement servi de "mise à l'eau" pour les bateaux. je dis "nous valait" car je ne suis pas retourné sur le site depuis et je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui.




J'attends aussi avec impatience la suite et je pourrai probablement me joindre pour des infos sur les dernières années d'exploitation des installations ferroviaires de la carrière.
Le petit caboteur qui assurait le transport des pierres depuis Port-Miou jusqu'à l'usine Solvay s'appelait évidemeent (!) "le Camarguais". Quand il n'était pas en service il était amarré au Vieux-Port de Marseille, Quai du Port, un peu avant le bassin de Carénage. C'était le dernier navire marchand à être amarré au Vieux-Port, tout entier dévolu à la navigation de plaisance.

Une photo des carrières publiée dans "La Nature" de 1916, l'explication en est donnée page 115 :
http://cnum.cnam.fr/CGI/fpage.cgi?4KY28 ... /442/5/435
Sur un autre forum, il est question de ces carrières sur un fil intitulé "Val d'Enfer", un film dont des scènes ont été tournées à Port-Miou et chez Piketty à Écuelles (S. & M.).

Ramon

Ramon Soupalognon a écrit:Une photo des carrières publiée dans "La Nature" de 1916, l'explication en est donnée page 115 :

Ne confondons pas. Il ne s'agit pas de la carrière Solvay mais de la carrière de Port Miou située sur l'autre rive de la calanque.
Elle fournissait des moellons pour la construction du tunnel du Rove alors que la carrière Solvay fournissait du calcaire pour l'usine de Salin de Giraud.
En 1952, le réseau ferroviaire et les trémies de chargement avaient disparu, peut-être à la fin des travaux du tunnel.


L'emplacement des trémies de chargement

Et un lien vers l'inventaire ferroviaire qui donne des précisions.
http://www.inventaires-ferroviaires.fr/hd13/13022.2.pdf

Beaux documents!

Pour commencer, un petit retour en arrière au début du XXe siècle, avant la mise en exploitation de la carrière Solvay.
La calanque de Port Miou était la plus longue et l'une des plus belles.
"Qu'a vist Paris e noun Cassis a ren vist" écrivait le célèbre poète provençal Frédéric Mistral.

La carrière sera creusée sur la gauche de la photo. On aperçoit le "château" de Port Miou que nous reverrons sur d'autres documents et qui existe toujours.


L'entrée de la carrière se fera sur la droite et la "petite mer" au premier plan sera comblée par le sable inutilisé.


La fameuse manifestation de 1910 pour la défense du paysage des calanques.


Les spécialistes des Travaux Publics qui fréquentent ce Forum m'excuseront pour les termes approximatifs que je vais être amené à employer.
Dès l'Antiquité, la pierre calcaire de Cassis était réputée pour ses qualités. Elle était extraite de plusieurs carrières de petite taille.
L'une d'entre elles existait sur la rive Est de la calanque.

Le but de Solvay était différent. C'était d'obtenir de la caillasse à partir d'un calcaire très pur pour fabriquer de la soude dans son usine de Salin de Giraud.
Des pans de falaise étaient dynamités (les tirs avaient lieu tous les jours à 16h30, semble-t-il).
Les voies étaient déplacées au fur et à mesure du recul du front de taille.


La roche était chargée manuellement dans des wagonnets au pied de la falaise puis transportée par train à voie de 60.
Chaque rame était formée de 12 berlines qui étaient refoulées vers le concasseur. Je pense, mais je n'en suis pas certain, que l'avancée de la rame se faisait de façon automatique.
La vapeur se mettait sur la rame vide pour la ramener vers le front de taille.

Un tapis roulant rejoignait un appareil de tri. La caillasse était rechargée dans des wagonnets tandis que des goulottes descendaient le sable inutilisable vers une barge.
Ce sable était ensuite rejeté au fond de la calanque !!!


Un système de rampes avec une chaîne motrice prenait en charge les wagonnets pleins qui rejoignaient la trémie de chargement par gravité.
La caillasse était stockée en attendant la venue de la barge Solvay.


La suite, demain.

Vivement la suite

Pour continuer notre étude, d'autres vues des trémies de chargement.
Au début de l'exploitation de la carrière.

Le château qui avait été racheté par Solvay.

Une carte postale colorisée du début des années 1950.

A l'arrivée au port de Salin de Giraud sur le Grand Rhône, la barge Solvay était déchargée grâce à un tapis roulant.

L'extrémité du tapis roulant était relevée quand la barge n'y était pas.

C'est un peu hors sujet mais je me suis demandé ce qu'étaient ces grandes structures métalliques derrière le tapis roulant.
C'était un Temperley, un appareil de déchargement comportant une poutre inclinée avec un chariot monorail, et dans lequel le levage de la charge ainsi que le déplacement du chariot s'effectuent avec le même câble.
Ces 2 Temperley servaient à charger des chalands du Rhône. On distingue aussi des wagons à voie métrique du réseau privé Solvay raccordé aux Chemins de fer de Camargue.

Mais revenons à la carrière de Port Miou.
Voici une photo du personnel devant l'entrée de l’atelier. La date n'est pas connue. Au centre, le directeur M. Montigneaux.

C'est bien joli tout ça, penserez-vous, m'enfin, c'était quoi comme locomotives ?
La réponse nous est donnée par cette photo prise par les Allemands en 1944 pendant l'Occupation.
C'étaient tout simplement des 030 Decauville de type Progrès.

En 1955, la carrière a connu de grands changements qui feront l'objet de la seconde partie de cette étude.

Intéressant, deux des soldats allemands portes le casque tropical de l'Afrika Korps.

Poursuivons notre petite monographie.
En 1923, la barge Solway remorquée par un remorqueur à vapeur est remplacée par un chaland à moteur : "Le Camarguais".
Celui-ci est construit par les Chantiers de Normandie au Grand Quevilly près de Rouen. Il assurera le transport de la production de la carrière jusqu'à la fin.

En 1955, l'exploitation de la carrière est considérablement modifiée. Le front de taille est abandonné et une nouvelle carrière est ouverte en haut de la colline.
Le réseau vapeur disparaît mais le réseau automatique est conservé tout en étant déplacé.
Voici d'abord une vue générale prise le 1er juillet 1966.

Les pierres sont d'abord chargées par des engins routiers dans la carrière supérieure. Elles descendent ensuite par une galerie pour ressortir au pied de la falaise de l'ancienne carrière.
Un tapis roulant les conduit au concasseur. La caillasse est alors chargée dans les wagonnets qui grimpent une rampe assez forte grâce à une chaîne continue avant de descendre par gravité jusqu’aux trémies de chargement du bateau.
Le sable n'est plus rejeté dans la calanque mais accumulé dans la partie Nord de l'ancienne carrière.

La zone des trémies n'est pas vraiment modifiée, mis à part le déplacement de la voie.

Cette photo du site permet de bien visualiser les lieux.

La même vue légendée.

Sur cette CP en couleur du début des années 60, on voit bien la zone des trémies.

Sur cette vue, on aperçoit "Le Camarguais" en cours de chargement.

Une vue de la carrière dans l'autre direction.

La carrière Solvay a continué de fonctionner ainsi jusqu'en 1981.
Les nombreux randonneurs et touristes qui voulaient rejoindre les calanques de Port Pin et En Vau traversaient la carrière en étant bien vigilants au franchissement des voies ferrées.
Officiellement, le GR passait en bas, le long des bateaux. Mais c'était long et pénible.
En 1981, la commune de Cassis n'a pas renouvelé la concession et la carrière a fermé à la fin de l'année. Les ferrailleurs sont vite passés et les voies comme les trémies ont rapidement disparu.

Épilogue
La nature a repris ses droits. Les pins d'Alep se sont installés sur le terre-plein de l'ancienne carrière et on y trouve même des orchidées rares.
Après pas mal de péripéties au début des années 2000, la société Solvay a été expropriée. La carrière est devenue une porte d'entrée du Parc National des Calanques et le château, la capitainerie du port de plaisance.
L'ancien atelier et la partie en béton des trémies sont les vestiges les plus visibles de l'ancienne exploitation.

Sources : IGN remonter le temps, clichés du 12 février 1952 et du 1er juillet 1966 ; Delcampe ; documents du parc National des Calanques ; "Le gabian déchaîné" (une publication locale de Cassis) ; l'inventaire ferroviaire et mes souvenirs personnels.

Merci pour l'exposé

pelican a écrit:Merci pour l'exposé

Tout à fait.

Une découverte très intéressante, merci!
J-J

Merci à 031 SACM pour sa très chouette description du réseau tel qu'il a fonctionné de 1955 à 1981 et pour ses vues aériennes.
Si vous le voulez bien je vous propose de descendre au niveau du sol et de voir les installations telles que pouvait les découvrir dans les années 1970 le "promeneur du dimanche" qui allait faire un tour dans les calanques et en particulier se baigner à Port Pin.
Bien entendu ces jours là l'exploitation était figée; donc on pouvait s'approcher des installations sans grand risque.
Tout d'abord il me faut préciser que d'après la littérature, l'écartement était de 0,64 ... pour quelle raison? Je n'en sais rien. La voie était assez lourdement armée avec apparemment un travelage bois sur le circuit principal.

Nous voici à la hauteur du concasseur où les wagonnets étaient chargés.

La chaine sans fin permettant de hisser les wagonnets au sommet de la rampe. ils dévalaient ensuite en roue libre jusqu'à la trémie de déchargement sur le Camarguais. Malheureusement je n'ai pas de photos de la trémie.

un système de freinage rudimentaire permettant de réguler la vitesse peu avant l'arrivée à la trémie.

Après vidange, les wagonnets continuaient toujours en roue libre, parcouraient une boucle, puis une seconde installation de chaîne sans fin les remontait en direction de la voie "retour" vers le concasseur de chargement.
Voilà exposé dans ses grandes lignes le fonctionnement de l'installation; simple mais apparemment efficace.